Qui est Gabriel Fortin, le meurtrier de DRH ?

5 février 2021 à 10h34 par Iris Mazzacurati

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Gabriel Fortin, un chômeur solitaire devenu bourreau de DRH.
Crédit : Pixabay - photo d'illustration

Isolé du monde, il voulait se venger après ses licenciements. Gabriel Fortin, ingénieur au chômage, a tué la semaine dernière deux de ses anciens DRH et une fonctionnaire de Pôle Emploi dans une équipée sanglante qui suit le fil de ses échecs professionnels.

Son parcours de vie, comme sa personnalité, demeurent flous. Tout juste sait-on que l'homme, originaire de Nancy où il résidait, "vivait comme un reclus depuis plusieurs années, n'avait aucune vie sociale, ses seuls contacts étaient sa mère et son demi-frère", confie une source proche du dossier.

Face aux enquêteurs et aux juges, ce célibataire sans enfants jusqu'alors inconnu des services judiciaires est invariablement muet. En garde à vue, il s'est montré "totalement mutique, avec un comportement calme, plutôt rationnel, n'a manifesté aucune nervosité. Il n'y a pas eu d'incident, c'est quelqu'un de très décidé en apparence", explique à l'AFP une source proche de l'enquête.

Depuis, il a été mis en examen pour "assassinats" et l'enquête a remonté un passé marqué par deux licenciements, en Eure-et-Loir en 2008, puis en Ardèche en 2010, qui ont manifestement nourri sa rancune jusqu'au passage à l'acte.

C'est le 28 janvier que la détermination de Gabriel Fortin explose au grand jour, avec les deux meurtres de sang-froid perpétrés aux confins de la Drôme et de l'Ardèche.

Patricia P., 54 ans, conseillère de Pôle emploi à Valence, est d'abord abattue d'une balle de 9 mm dans le thorax alors qu'elle se trouvait dans son bureau. Fortin a commis ce meurtre "sans marquer de signe d'agressivité ou d'énervement" selon le parquet de Valence.

Fortin se rend ensuite à une dizaine de km de là, à Guilherand-Granges (Ardèche), pour tuer Géraldine C., 51 ans, directrice des ressources humaines de Faun, entreprise spécialisée dans la fabrication de véhicules de collecte de déchets. Il demande à lui parler, se rend dans son bureau situé au 1er étage, et l'abat de plusieurs balles.

Pour le procureur de Valence Alex Perrin, la préméditation des deux faits est "avérée". Si les enquêteurs n'ont pas encore établi qu'il connaissait la fonctionnaire de Pôle Emploi, il a fréquenté l'agence jusqu'en 2013. Et il est désormais clair qu'il avait eu affaire à la DRH de Faun par le passé.

Embauché comme ingénieur par cette société en 2008, il en avait été remercié en 2010. Selon Philippe Fayat, délégué syndical CFDT, "c'est (Géraldine C.) qui l'avait licencié".

"Un danger pour lui-même"

Après l'arrestation du suspect, un lien est vite apparu avec un autre meurtre et une agression armée perpétrés deux jours plus tôt dans le Haut-Rhin.

Le 26 janvier, Estelle L., encore une DRH, a été tuée par balle sur le parking de son entreprise à Wolfgantzen (Haut-Rhin). Homicide suivi de l'agression à main armée de Bertrand M., un homme travaillant aussi dans les ressources humaines, à son domicile de Wattwiller dans le même département.

Selon la procureure de Mulhouse Edwige Roux-Morizo, cet homme est "un DRH qui avait travaillé au cours de l'année 2008 chez Francel", une entreprise d'Eure-et-Loir spécialisée dans les produits et solutions pour le gaz naturel, dont Fortin avait été licencié "pour faute" la même année. Licenciement que Bertrand M. "avait directement notifié" à Fortin. Estelle L. a aussi travaillé à la même époque chez Francel comme stagiaire, sous les ordres de Bertrand M., selon la procureure.

La voiture du suspect, l'analyse balistique et d'empreintes ADN laissées sur le masque et les lunettes du tireur retrouvées à Wattwiller, finissent de convaincre les enquêteurs : les meurtres sont liés et ressemblent fort à des actes de vengeance de Gabriel Fortin, dont l'enquête n'a pas encore pu établir s'il avait retravaillé depuis 2010.

"Il y a certainement un côté très dépressif et prémédité qui s'est construit sur plusieurs années. La dépression est un des grands facteurs du passage à l'acte, on a l'impression qu'il y a un ressentiment qu'il ne peut pas gérer", explique le Dr Sophie Baron Laforet, psychiatre et ancienne présidente de l'Association française de criminologie (AFC).

"Il y a sûrement de la pathologie psychiatrique de longue date mais on peut se demander quel a été le facteur déclenchant, faisant que la douleur est insupportable, plus possible à vivre, faisant qu'il a préparé son plan et froidement abattu ces personnes", poursuit-elle. Deux lettres "laconiques" adressées à sa mère et son demi-frère ont été découvertes au domicile de Gabriel Fortin à Nancy, qui n'évoquent pas son passage à l'acte.

Dans ces missives, il sous-entend qu'il va s'absenter. Dans l'une, il demande à ce qu'on s'occupe de son appartement et dans l'autre il demande qu'on s'occupe de son chien, sans en dire plus.

Peu après le dernier meurtre, Fortin a été intercepté au volant alors qu'il se dirigeait à contresens vers Valence. Une voiture banalisée de la police a percuté son véhicule avant de le neutraliser rapidement.

Sur une vidéo amateur mise en ligne sur les réseaux sociaux, on voit des policiers plaquer au sol un homme au crâne dégarni qui ne résiste pas au moment d'être conduit dans un fourgon.

"Maintenant on peut se demander comment il va survivre à ça, c'est la mort sociale totale (...) Le risque suicidaire est sûrement très marqué", avance Mme Baron-Laforêt. Fortin a été transféré mercredi dans une unité psychiatrique lyonnaise sur demande de l'établissement pénitentiaire où il était détenu, qui fait état "d'éléments qui faisaient penser qu'il pouvait être un danger pour lui-même".



(Avec AFP)