Scandale du centre du don des corps : mise en examen de l’ex-président de l'Université Paris-Descartes

8 juin 2021 à 8h15 par Iris Mazzacurati

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Des photos attesteraient de l'existence du charnier dès 1988, alors que l'enquête porte pour l'insta
Crédit : CC by Daniel X. O'Neil

L'ancien président de l'Université Paris-Descartes, Frédéric Dardel, a été mis en examen dans l'enquête sur le scandale du Centre du don des corps, ouvrant la voie à la mise en cause d'autres hauts responsables après celles d'employés.

M. Dardel, président de l'Université entre début 2012 et 2019, a été mis en examen vendredi 4 juin, pour "atteinte à l'intégrité d'un cadavre", a appris l'AFP.

"Sur les sept années qu’aura duré son mandat, Frédéric Dardel n’a eu de cesse de solliciter l’octroi de crédits... Notamment pour la réfection du Centre du don des corps, en vain, ce qui démontre comme pour d’autres services publics essentiels l’incurie manifeste de l’État", a relevé son avocate, Me Marie-Alix Canu-Bernard.

Locaux vétustes, dépouilles putréfiées et rongées par les souris, soupçon de marchandisation des corps... Dans un article publié fin novembre 2019, l'hebdomadaire L'Express avait dénoncé les "conditions indécentes" de conservation de dépouilles de "milliers de personnes ayant fait don de leur corps à la science".

Ces révélations avaient conduit la ministre de la Recherche Frédérique Vidal à ordonner la fermeture du "temple de l'anatomie française", fondé en 1953 et qui accueillait chaque année plusieurs centaines de corps.

Après cette fermeture, M. Dardel est devenu en septembre 2019 "conseiller spécial" au cabinet de la ministre, puis depuis septembre 2020, directeur d'une unité de recherche du CNRS.

Les préparateurs, premiers visés par l’enquête

Dans un premier temps, l'information judiciaire ouverte en juillet 2020 s'est orientée sur les employés du centre, les "préparateurs", chargés de la gestion quotidienne des dépouilles avant leur utilisation pour des expérimentations.

En juin 2020, une enquête administrative de l'Inspection générale des affaires sociales (Igas) et l'Inspection générale de l'éducation du sport et de la recherche (Igésr) avait en effet évoqué une "perte de repères (...) tant chez les préparateurs que chez les intervenants" sur les corps et s'interrogeait sur une "volonté de nuire ou de porter atteinte aux cadavres" de "certains préparateurs".

Au moins deux d'entre eux ont été mis en examen, Maurice A. en décembre et Jean-Rémy H. en avril.

Le premier, employé du centre jusqu'au début des années 2010, a été mis en cause notamment après la découverte à son domicile de "divers ossements" et des bijoux. Le second, décrit comme un personnage controversé dans des mails internes auxquels l'AFP a eu accès, a été la tête de l'équipe des préparateurs au moins jusqu'à début 2018.

Existence d’un charnier dès 1988

Mais l'enquête, comme le demandaient les plus de 170 plaignants, issus des familles des personnes ayant fait don de leur corps, cible désormais des responsables.

Le rapport administratif a, en effet, indiqué que l'Université Paris-Descartes était responsable de "graves manquements éthiques" : "L'importance et la répétition" des alertes, "à différents niveaux et selon différents vecteurs, tranchent avec l'absence de réaction à la hauteur de la gravité des faits signalés jusqu'en 2018".

L'Université de Paris, nouvelle entité issue de la fusion en janvier 2020 de Paris-Descartes et Paris-Diderot, a ainsi été mise en examen le 15 avril pour "atteinte à l'intégrité d'un cadavre". Dans un premier temps, l'Université avait tenté de se constituer partie civile.

Après M. Dardel vendredi, d'autres responsables pourraient-ils être visés ?

L'Express pointait ainsi le rôle joué par le Pr Guy Vallancien, ancien chargé de mission auprès de plusieurs ministres de la Santé, et par sa société anonyme - l'Ecole européenne de chirurgie, créée en 2001 au sein de l'Université. Celle-ci revendait des corps notamment aux industriels pour leurs propres tests, comme des crash-tests automobiles.

Dans un article paru jeudi, Paris Match a, en outre, révélé l'existence de 13 diapositives qui attesteraient de l'existence du charnier dès 1988, alors que l'enquête porte pour l'instant sur des faits datant des années 2010.

"Tous les présidents d'université qui se sont succédé étaient parfaitement au courant", a réagi Me Frédéric Douchez, avocat de très nombreux plaignants, saluant une mise en examen "logique".

"La hiérarchie commence enfin à être inquiétée, ce qui est selon nous, la moindre des choses" s'est félicitée l'association Charnier Descartes-Justice Dignité, avant de prévenir : "La liste n'est pour le moment pas complète".



(Avec AFP)