FrenchTech : quand votre pizzaiolo est un robot

19 septembre 2020 à 12h00 par Iris Mazzacurati

VOLTAGE
L'équipe Pazzi travaille actuellement à l'ouverture d'un restaurant Pazzi à Paris, et recrute !
Crédit : Pazzi

A l'occasion du Big Tour Bpifrance qui met a̬ l'honneur l'innovation et le savoir-faire entrepreneurial français, partons à la rencontre de Philippe Goldman, président d'Ekim et promoteur de Pazzi.

Le Big Tour Bpifrance sera les 18 et 19 septembre, sur le parvis de l’hôtel de ville de Paris, avec son lot de découvertes, d’innovations, d’animations et son grand concert gratuit… Voltage en a aussi profité pour échanger avec Philippe Goldman, président d’Ekim, une start-up francilienne membre du réseau Bpifrance Excellence, qui a développé Pazzi, un concept de restauration rapide 100% autonome où le pizzaiolo est un robot.

Voltage : Quand, pourquoi et comment Pazzi a vu le jour ? Pazzi répond à quelle attente du marché, de la société ?
Philippe Goldman : Pazzi a vu le jour en 2012. Deux jeunes ingénieurs, Sébastien Roverso et Cyrill Hamon, tout juste sortis de l’école, vivaient une expérience négative liée à la restauration rapide : de la malbouffe, jamais ouvert quand ils sortaient de leur bureau ou d’étude... Et comme ils sortaient d’un cycle d’ingénierie en robotique et électronique, ils se sont dit : « Est-ce que tous les deux, on pourrait rêver de faire quelque chose de nouveau et inventer le premier robot pizzaiolo ? Inventer le premier restaurant autonome au monde ? » Ils se sont alors enfermés dans le garage familial. Et pendant 7 ans, enfermés, tous seuls, ils ont travaillé sur ce projet ; une vraie aventure. Ils étaient vraiment face à l’inconnu et ont développé une solution qui n’existe nulle part ailleurs.

Et comment avez-vous découvert ces deux jeunes inventeurs ?
A l’époque, j’avais quitté un grand groupe [l’Oréal, NDLR]. J’avais fait une année un peu à part dans un fond d’investissement pour me reconnecter aux start-ups. Je voyais qu’il y avait tellement de choses à faire. Un phénomène absolument formidable était en train de se développer en France, avec des jeunes qui ne voulaient plus travailler dans les grands groupes et qui se disaient : « mais nous, on va faire nous-mêmes des choses et on va inventer notre propre histoire. » Ils sont donc venus taper à la porte du fond d’investissement où je me trouvais. Ils voulaient de l’argent pour se développer. Et ça s’est passé en 48h : j’ai vu ce qu’ils faisaient. Ca a été un coup de cœur, à la fois pour leur projet, radicalement nouveau, et à la fois pour ces deux personnalités, profondément gentilles, et finalement visionnaires sur un métier qu’ils ne maîtrisaient pas, n’étant pas de la restauration. Je me suis dit : «Il faut que je les rejoigne !» En plus, ils avaient une forme de modestie. Ils disaient : «On ne sera pas capable de développer la boîte... On est bon dans la recherche, mais on a besoin de quelqu’un pour nous entourer, nous aider à nous développer.» Et j’ai dit : «Je veux que ça soit moi !» Donc, j’ai investi et 6 mois après, j’ai quitté la formation pour les rejoindre. Mon aventure avec eux démarre en 2017.

Vous l’avez dit : Sébastien et Cyril n’avaient aucune expérience dans la restauration, comment ont-ils réussi à mener leur projet à bout ?
En fait, il faut avoir un regard neuf sur un métier. Il n’y que comme ça qu’on apporte des innovations radicales. Soit parce que vous êtes jeunes, soit parce que vous n’êtes pas du secteur... Eux, ils cumulaient les deux. Si vous demandez à un restaurateur de mettre des robots dans la cuisine, il va vous dire : « Sortez de ma cuisine ! C’est pas possible ! » Il fallait l’audace de ces deux jeunes qui n’étaient pas du secteur pour penser que c’était possible. Après, honnêtement, c’est de la persévérance, de la transpiration, des larmes, c’est de la joie aussi, mais c’est de l’effort constant. Parce que quand vous êtes dans l’inconnu, il faut créer ; donc ils ont tout fait, tout essayé pour robotiser. Il y a plusieurs brevets. Il fallait créer quelque chose qui n’existait pas !

La première pizzeria 100% autonome a ouvert en novembre dernier dans le centre commercial Val d’Europe, contrairement à d’autres entreprises de restauration, elle n’a pas trop souffert de la crise sanitaire, si ?
Pour nous, il s’est passé deux choses assez formidables et d’autres moins... D’abord, la pizzeria est dans un centre commercial qui a quasiment fermé pendant la période du Covid. Ne sont restés ouvert que l’hyper marché et la pharmacie. Nous, on a commencé par fermer : premier réflexe. Puis on s’est dit : « c’est dommage ! » Du coup, pendant un mois, on a livré des pizzas aux gens qui en avaient besoin : des policiers, des pompiers, des caissiers... On a dû livrer 1 200 pizzas. On s’est dit : « On a un outil, on a un robot qui peut tourner... » Donc, on a remis de la pâte, des tomates, des courgettes, de la mozzarella... tout ce qu’il fallait. Et on en a distribué, tous les jours, pendant un mois. Et puis début mai, on a demandé l’autorisation de rouvrir pour les livraisons. Les centres commerciaux ne sont généralement pas autorisés aux livreurs... Et puis, en juin, on a repris comme tout le monde, mais comme nous sommes dans un centre commercial et que nous n’avons pas de terrasse... c’est plus compliqué. Mais autre effet incroyable : on a eu des appels du monde entier ! Le Covid étant planétaire, il y a eu des appels d’entrepreneurs qui ont souhaité avoir Pazzi dans leur pays le plus tôt possible. C’est la première pizza sans contact, en fait. Vous pouvez commander en ne touchant rien ni personne.


D’où viennent les ingrédients ?
Sur les 7 ans de recherche, on en a passé 2 sur les ingrédients. 2 ans à élaborer une pâte incroyable... On s’est associé avec un chef dès 2017. C’est un peu la même histoire que moi : c’est un chef pizzaiolo, très titré, qui s’appelle Thierry Graffagnino. Il a gagné 3 fois la coupe du monde de la pizza. Ca peut paraître assez antinomique qu’un pizzaiolo collabore à mettre au point un robot pizzaiolo ! Lui a pensé "innovation". Il faut casser les murs, ne jamais rester sur ses acquis. Il voulait voir. Et avec lui et une entreprise locale, Les moulins de Chars, on a élaboré une pâte magnifique. Il y a eu un travail très long sur la pâte, pour avoir une pâte d’excellence. Après, on a fait le choix de rester essentiellement entre la France et l’Italie. Des légumes bios pour l’Italie, de l’AOP pour les fromages, de la viande du Limousin... La pêche est plus lointaine ; on a essayé de trouver de la pêche durable. Pour lutter contre la « malbouffe », il faut faire de la « bonne bouffe » et c’est d’abord bien choisir ses ingrédients. Et après, il y a le talent du chef et de nos inventeurs. On a mixé tout ça pour que le produit soit un très bon produit.

Pazzi aujourd’hui, en quelques chiffres ?
Aujourd’hui, Pazzi, c’est 80 pizzas à l’heure. Avant le confinement, on avait vendu 12 000 pizzas à peu près. Pazzi fait une pizza en 5 minutes, mais comme le robot a plusieurs bras, il peut en faire une toutes les 47 secondes. Si vous avez plusieurs commandes, la première pizza prendra effectivement 5 minutes, mais la suivante sera délivrée 47 secondes après. L’innovation, c’est un pari sur l’avenir. Les investisseurs vous ont-ils suivi facilement ? Oui et non. Non au départ. Parce qu’en France, le milieu de l’investissement en "tech", donc de l’innovation, est très lié aux software, aux logiciels et beaucoup sur les vieux métiers ; le « hardware », l’industrialisation, la robotique, etc. D’un autre côté, on a trouvé des investisseurs formidables ; des rêveurs qui pensent le monde de demain, qui réfléchissent. On les a trouvés d’abord en France, puis aussi à l’étranger. Ils ont vu que notre solution pouvait atteindre un marché mondial et pouvait vraiment changer la donne. Ils ont mis des investissements assez lourds. C’est comme ça qu’on a pu passer de 5 personnes à une trentaine d’employés...

Quel est le principal écueil auquel vous avez été confronté lors du développement et de la présentation au public de Pazzi ?
On avait deux angoisses. La première : que le robot s’arrête. C’est une chose de tester votre robot en laboratoire, mais c’en est une autre de la faire tourner tous les jours, 7 jours sur 7, avec des opérations, avec des gens qui viennent le recharger... un vrai quotidien. Ca, on a réussi à le résoudre, donc on tenait une technologie qui était fiable.
La deuxième angoisse, c’était que les gens se disent : « Une pizza faite par un robot ?! Jamais ! » Et en fait, les gens ont vu quelque chose d’assez "émotionnel". Ils ont vu que derrière le robot, il y avait des gens, des inventeurs, une start-up du coin (nos bureaux sont à 5 minutes du centre commercial Val d’Europe où se trouve le premier Pazzi). Et puis, c’est aussi notre approche de la robotique. On voulait une robotique visible. On a assumé, dès le début, qu’on voit nos robots. Il ne fallait pas se planquer dans une cuisine. Les robots, c’est sympa, ça se voit. Du coup, on a créé des mouvements élégants : on coupe une pizza, on met la sauce tomate à la louche, etc. Et tout ça crée une expérience très positive qui a été perçue par les clients. Au final, on n’est pas la trattoria du coin, on est de la restauration rapide, les attentes ne sont pas les mêmes. Vous n’allez pas faire un dîner romantique chez Pazzi... Les gens attendent d’avoir un bon produit, rapidement. Quand ils viennent chez nous, ils sont autonomes. Ils voient leur pizza évoluer, souvent ils emmènent leurs enfants qui restent scotchés contre la vitre et prennent des photos, etc. On avait donc ces deux écueils, technique et d’acceptation. Ce sont des paris qui ont été gagnés.

Vous êtes une entreprise de la FrenchFab, appartenant au réseau Bpifrance Excellence. Qu’est-ce que cela vous a apporté ?
C’est for-mi-dable ! J’ai 20 ans d’expérience, je n’ai jamais trouvé un réseau aussi formidable que celui-là. Il s’avère qu’on est peu de start-ups dans ce réseau, il y a essentiellement des PME. Et je trouve qu’il y a un réseau en France incroyable ! Il y a deux niveaux : l’aide concrète de Bpi : financements, conseils, formations, événements, comme le Big Tour, par exemple... Et puis, il y a les rencontres que vous faites. Parce que forcément, un réseau de personnes, d’entrepreneurs, où il y a plusieurs générations qui gèrent parfois une boite, etc. Dans les régions, on trouve des entreprises incroyables ! Et moi, je suis à chaque fois ému de me retrouver face à eux : des gens qui galèrent, ou pas ; qui ont du succès, qui passent des étapes et qui font notre tissus économique. Et ça, c’est génial. En fait, avant de parler de financement, Bpi Excellence, c’est fondamentalement de l’énergie. Et l’énergie, on en a besoin (rires)

Et alors, quelle suite pour Pazzi ?
Nous travaillons actuellement à l’ouverture d’un restaurant Pazzi dans Paris. On n’a pas encore l’adresse. Et puis d’autres ouvertures après. En revanche, on ne travaille pas sur « Pazzi burger » ou « Pazzi sushi ». On est focalisé sur la pizza. On est fan de pizza. On adore ça.

Et vous, l'aventure Pazzi vous tente ? Ca tombe bien, Pazzi recrute ! Pour tout savoir, cliquez sur le lien.