Gilets jaunes : mise en examen du policier qui a éborgné Jérôme Rodrigues

11 février 2021 à 9h20 par Iris Mazzacurati

VOLTAGE
La blessure de Jerôme Rodrigues, une des figures de proue du mouvement, avait relancé la controverse
Crédit : STEPHANE DE SAKUTIN / AFP

Deux ans après avoir perdu son -il droit lors d'une manifestation des "gilets jaunes", Jérôme Rodrigues, une des figures du mouvement, a annoncé mercredi 11 février la mise en examen du policier dont le tir de grenade aurait causé sa mutilation, réclamant des poursuites contre les "donneurs d'ordre".

Le quadragénaire avait convoqué mercredi après-midi la "famille", surnom donné à ses abonnés Facebook, média de prédilection du mouvement de colère sociale, pour une "grosse annonce".

"J'ai reçu des nouvelles de la part de la justice concernant le ou les policiers qui se sont amusés à crever mon œil : à l'heure où je vous parle les deux policiers ont été mis en examen", a déclaré Jérôme Rodrigues devant 1 500 personnes connectées.



"Donc je tenais à vous le dire, à dire à l'ensemble des gens qui me soutiennent depuis deux ans : je me suis fait crever un œil par la police de Macron", a ajouté l'ancien plombier qui n'a pas pu reprendre son métier, avec sa casquette noire et cette barbe fournie devenues sa signature dans les rassemblements du mouvement.

Selon une source judiciaire, deux fonctionnaires ont été mis en examen le 14 janvier par les juges d'instructions chargés depuis le 13 février 2019 d'établir les responsabilités dans la mutilation de Jérôme Rodrigues et d'un de ses amis, Mickaël, blessé à la jambe place de la Bastille lors de l'acte 11 des "gilets jaunes", le 26 janvier 2019.

Après un long travail d'enquête, basé sur des recoupements vidéo et des témoignages, le policier soupçonné d'avoir lancé la grenade de désencerclement, dont un éclat a frappé l'œil de M. Rodrigues a été mis en examen pour des "violences volontaires ayant entraîné une mutilation ou une infirmité permanente", aggravées par plusieurs circonstances. Une qualification criminelle relevant des assises.

L'autre policier, à qui l'enquête attribue le tir d'un lanceur de balles de défense (LBD) ayant blessé Mickaël à la jambe, est lui poursuivi pour "violences volontaires aggravées". Les deux fonctionnaires sont sous contrôle judiciaire.

A l'époque des faits, la concomitance du tir de LBD et du lancer de grenade sur le groupe de M. Rodrigues avait créé la confusion sur l'origine des blessures. D'autant que les autorités avaient un temps contesté l'usage du LBD à l'heure des faits.

"Deux vies déglinguées"

"Si un jour, on me rend justice, j'aurai gagné qu'à moitié parce que l'important c'est que l'ensemble des mutilés du mouvement, l'ensemble des éborgnés, l'ensemble des copains qui ont perdu une main puisse avoir justice", a ajouté M. Rodrigues dans sa vidéo.

Ce dernier a réclamé justice non pas seulement pour les policiers, mais aussi pour "les donneurs d'ordre, ceux qui aujourd'hui se permettent de faire taire les contestataires à coups de mutilations".

Interrogé par l'AFP en 2019, M. Rodrigues avait déjà déploré "deux vies déglinguées", la sienne et celle du policier, non encore identifié. "Il va lui arriver quoi à lui ? Il a peut-être une femme et des enfants", s'interrogeait-il, mettant en cause les ordres hiérarchiques.

Cette blessure de M. Rodrigues, longtemps compagnon de route d'une autre figure du mouvement, Eric Drouet, avait relancé la controverse sur l'usage du LBD, principale arme mise en cause dans l'éborgnement de plusieurs "gilets jaunes".

Pendant ce mouvement de contestation sociale, au moins 30 manifestants ont été éborgnés et cinq ont eu la main arrachée à cause d'une grenade, selon un décompte du journaliste David Dufresne, observateur des violences commises par les forces de l'ordre lors des rassemblements hebdomadaires, marqués par des affrontements dont les images ont fait le tour du monde.

Fin novembre, le procureur de Paris avait recensé 224 procédures ouvertes pour des accusations de violences illégitimes des forces de l'ordre, dont 148 classées sans suite. 25 affaires ont été confiées à des juges d'instruction, 46 dossiers étaient en cours d'examen avant d'éventuelles poursuites, et 5 procès prévus ou déjà jugés, selon le magistrat.

Récemment, un policier a été mis en examen à Rennes pour "blessures involontaires", dans l'enquête sur l'éborgnement de Gwendal Leroy, autre "gilet jaune" touché par un éclat de grenade. Et un policier doit être prochainement jugé aux assises à Paris pour un autre tir de grenade, en 2016, à l'origine de l'éborgnement du syndicaliste Laurent Theron.



(Avec AFP)