Comment les personnes grosses sont-elles représentées dans les films et séries ?

23 janvier 2024 à 6h00 par Étienne Escuer

Dans Avengers : Endgame, Chris Hemsworth porte un "fat suit".
Dans Avengers : Endgame, Chris Hemsworth porte un "fat suit".
Crédit : Avengers : Endgame / Marvel Studios

Malgré un progrès ces dernières années, la représentation des personnes grosses reste encore problématique dans les films et séries.

 

Êtes-vous capables de citer, en quelques secondes, le nom de quelques acteurs et actrices internationales grosses ? Probablement pas, et c’est normal, en raison de leur invisibilisation encore aujourd’hui. « Il y a une volonté depuis trois ou quatre ans d’un tout petit peu plus visibiliser les personnages gros, mais globalement, on n’a pas envie qu’ils soient les premiers rôles », explique Marie de Brauer, créatrice de contenus qui travaille sur la question de la grossophobie. « Comparé aux années 1990 où les rôles étaient vraiment horribles, les personnages gros sont aujourd’hui un peu plus sympas, mais ce ne sont pas les héros. »

 

« Le corps gros renvoie du négatif »

 

Comment expliquer cette invisibilisation des personnes grosses à l’écran ? « Par la grossophobie qui est partout », estime Marie de Brauer. « On a apposé aux corps gros des clichés, on se dit que ce n’est pas cinématographique. De par les discriminations qu’elles vivent, les personnes grosses ont aussi moins envie d’être publiques. » Selon la créatrice de contenus, « le corps gros renvoie du négatif, de la maladie, du dégoutant, du monstrueux, et on n’a pas envie de mettre ça en image quand on fait une comédie romantique ». Pourtant, poursuit Marie de Brauer, « c’est en valorisant les corps gros que le regard des gens change ».

 

Comme pour les personnes racisées ou LGBT+, la question de la représentation est en très importante. « Plus on rend quelque chose invisible, plus on le rend anormal, alors que plus on est habitué à le voir, moins c’est curieux car c’est la norme, finalement », rappelle Marie de Brauer. Mais pourquoi, alors que la représentation des personnes racisées ou LGBT+ s’est fortement améliorée, le travail est-t-il pour long pour les personnes grosses ? « Dans le militantisme en général, ce combat passe un peu au second plan. On a tendance à ne pas se rendre compte à quel point ça touche en profondeur les gens. La haine en face des personnes grosses est anormalement grande. »

 

Des rôles clichés

 

Quand elles apparaissent à l’écran, les personnes grosses doivent souvent se contenter de rôles clichés. « Je peux vraiment compter sur les doigts d’une main les rôles où je me dis "ah, trop chouette, c’est une belle représentation !" », confie Marie de Brauer. « On a eu longtemps le personnage gros drôle qui va servir au héros ou le personnage dégueulasse et déprimant, ou même le personnage méchant. Dans les Disney, il y a beaucoup de méchants qui sont gros ! » Dans les années 1990, de nombreux films et séries ont également eu recours aux « fat suits », des costumes pour faire grossir les comédiens, à l’image de Courtney Cox (Monica Geller) dans Friends. « Être gros, ce n’est pas un déguisement, c’est un corps », rappelle Marie de Brauer. « Et il y a des acteurs et des actrices grosses qui seraient ravis de jouer des rôles. » La pratique n’est pas encore totalement abandonnée, à l’image des prothèses portées récemment par Chris Hemsworth (Thor) dans Avengers Endgame ou Brendan Fraser, oscarisé dans The Whale.

 

Quand des personnes grosses obtiennent un rôle, le poids est encore aujourd’hui très souvent intégré au scénario. « Il n’y a jamais de personnages gros où on va juste suivre leur histoire d’amour, par exemple », constate Marie de Brauer. « Mais des fois, c’est vraiment bien fait, comme dans la série This is us. On parle du fait qu’un personnage gros veut perdre du poids, mais c’est fait de manière très sensible. » Si la créatrice de contenus estime « qu’il est dommage de se cantonner à ça », elle concède « que c’est la réalité des personnes grosses, tous les jours on nous rappelle qu’on doit maigrir ». A l’avenir, Marie de Brauer espère ainsi voir se développer des rôles où le poids d’une personne grosse n’a aucun impact sur le scénario. « Il y a des personnes grosses pour qui le poids est une obsession au quotidien, mais d’autres aussi pour qui le quotidien, c’est aller au travail, payer ses factures, aller danser le samedi, etc. Ce serait bien que ça soit retranscrit dans la fiction », conclut-elle.

 

Les œuvres conseillées par Marie de Brauer avec des personnes grosses correctement représentées : My Mad Fat Diary, This is us, Euphoria, Empire.